Le projet de loi Travail qui a été porté par le Ministère du Travail, a été adopté le 10 mai 2016, en première lecture, sans vote, à l’Assemblée nationale, grâce à la procédure prévue par l’article 49-3 de la Constitution française; et prévoit de modifier en profondeur le Code du travail, en assouplissant notamment la législation afin de favoriser le recours à la négociation collective. Il présage divers changements en matière de durée du travail, d’heures supplémentaires, d’indemnités prud’homales, de licenciement, de visite médicale d’embauche.
De l’abandon du plafonnement des indemnités pour licenciement injustifié à la définition du licenciement économique en passant par la prise des congés par le salarié, nous avons épluché en détails le projet de loi dans sa version écrite et modifiée pour le comparer au Code du travail actuel.
Définition du licenciement économique (modifié)
Dans le Code du travail, aujourd’hui : le licenciement économique se définit comme étant celui « effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques ».
La proposition dans le projet réécrit : le projet précise la définition du licenciement économique de manière très stricte à l’échelle de l’entreprise, alors que le juge avait jusqu’ici une certaine latitude pour l’apprécier.
Par rapport au projet original, la version réécrite ajoute que « les difficultés économiques créées artificiellement à la seule fin de procéder à des suppressions d’emploi » ne peuvent pas « constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement », comme dans le cas d’un groupe qui pourrait organiser le déficit d’une de ses entreprises.
Indemnités de licenciement aux prud’hommes (modifié)
Actuellement, le Code du travail ne prévoit pas de plafond d’indemnités accordées par les prud’hommes en cas de licenciement abusif, mais seulement un minimum (six mois de salaire), en plus de l’indemnité de licenciement légale.
Dans la proposition du projet réécrit, son article 30, qui introduisait ces plafonds, a été supprimé dans la version réécrite du projet de loi.
Par conséquent, ne subsiste plus qu’un barème indicatif, que les prud’hommes peuvent choisir de suivre ou non.
Les conditions de l’astreinte (modifié)
Actuellement, le Code du travail indique que le salarié doit être prévenu de sa période d’astreinte au moins « quinze jours à l’avance, sauf circonstances exceptionnelles et sous réserve que le salarié soit averti au moins un jour franc à l’avance ». Le temps total d’astreinte est pris en compte dans le calcul du repos.
La proposition dans le projet réécrit : le projet de loi supprime le délai de quinze jours avant lequel un salarié doit être prévenu de sa période d’astreinte. Mais il inscrit noir sur blanc que cette astreinte donne lieu à une compensation financière ou à un repos au moins égal à la durée d’astreinte (et non de la seule intervention, comme le prévoyait la première version). Ces conditions sont déterminées par l’employeur, après consultation du comité d’entreprise ou des délégués du personnel et information de l’inspecteur du travail (dans la première version du texte, ce dernier n’était pas informé).
Le temps de travail quotidien (non modifié)
Le droit du travail, aujourd’hui, permet déjà un passage à douze heures de travail quotidien par un accord collectif ou bien de manière temporaire, en cas de « surcroît d’activité » (délai de travaux, travail saisonnier…). Cette dérogation se fait après consultation du comité d’entreprise ou des délégués du personnel.
Ce qu’a proposé le gouvernement : selon l’article 3 du projet de loi, la possibilité de fixer la durée de travail maximale à douze heures par un accord ne change pas. En l’absence d’accord, la dérogation, pouvant actuellement être accordée par l’inspection du travail, pourrait l’être par une « autorité administrative » non définie par le texte.
Le temps de travail hebdomadaire (modifié)
Le Code du travail actuel permet déjà un passage à soixante heures de travail hebdomadaire maximum par dérogation en cas de « circonstances exceptionnelles ». La durée hebdomadaire ne peut actuellement excéder quarante-quatre heures sur une période de douze semaines.
La proposition dans le projet réécrit : La première version du texte prévoyait d’allonger la période sur laquelle la durée maximale de temps de travail hebdomadaire est calculée (44 heures au maximum par semaine sur 16 semaines et non plus 12), mais la deuxième version a finalement maintenu la période de douze semaines.
Le texte assouplit donc le passage de cette durée maximale de 44 à 46 heures par un accord d’entreprise ou de branche.
Les heures supplémentaires (modifié)
En droit du travail actuel, la majoration actuelle des heures supplémentaires est déjà de 25 % pour les huit premières heures, 50 % ensuite. De même, il existe aussi un plancher de 10 % en cas d’accord d’entreprise ou de branche. Les heures supplémentaires sont décomptées à la semaine, un an maximum.
La proposition dans le projet réécrit : Actuellement, un accord de branche prime un accord d’entreprise. Le texte prévoit que l’accord de branche ne s’applique qu’« à défaut », c’est-à-dire s’il n’y a pas d’accord d’entreprise. Autrement dit, l’accord d’entreprise (où les salariés sont a priori plus vulnérables face à leur employeur) prime l’accord de branche, généralement plus avantageux. Les opposants au projet de loi craignent donc un nivellement par le bas, avec une majoration de 10 %, sous la pression des employeurs. Par ailleurs, le décompte des heures supplémentaires, et donc leur paiement, pourra avoir lieu jusqu’à trois ans et non chaque semaine (ou un an au plus tard).
Le forfait jours (modifié)
Dans le Code du travail aujourd’hui, le forfait jours existe déjà dans le code travail, s’appliquant aux mêmes types de salariés et dans la limite de 218 jours. Il nécessite un accord d’entreprise ou de branche. « A défaut d’accord collectif préalable, aucune convention individuelle de forfait annuel en jours ne peut être conclue, même avec l’accord exprès du salarié », explique sur son site le ministère du travail.
La proposition dans le projet réécrit : La première version du texte autorisait les entreprises de moins de 50 salariés à mettre en place des forfaits jours sans accord collectif, disposition supprimée dans la deuxième version. La première version du texte autorisait également le fractionnement du temps de repos quotidien ou hebdomadaire, disposition supprimée depuis.
Le travail de nuit (modifié)
Dans le Code du travail, aujourd’hui : Actuellement, est considéré comme travailleur de nuit un salarié travaillant entre 21 heures et 6 heures ou, en cas d’accord collectif, 9 heures consécutives incluant la période entre minuit et cinq heures.
La durée de travail d’un travailleur de nuit ne peut pas excéder 8 heures par jour et 40 heures hebdomadaires réparties sur 12 semaines (44 heures en cas d’accord collectif).
La proposition dans le projet réécrit : Le projet de loi élargit la période durant laquelle le travail est considéré comme étant nocturne, soit jusqu’à 7 heures au lieu de 6 heures.
Comme pour le temps de travail de jour, la période de référence pour calculer le temps de travail hebdomadaire maximal reste finalement à 12 semaines (et non plus seize, comme envisagé initialement).
Le temps partiel (modifié)
Dans le Code du travail, aujourd’hui : A l’heure actuelle, le Code du travail permet déjà des dérogations au minimum de 24 heures de travail par semaine en contrepartie « d’horaires réguliers permettant au salarié de cumuler plusieurs activités ». En l’absence de représentant du personnel, l’inspection du travail doit être prévenue et doit venir constater l’accord des salariés avant mise en place du temps partiel.
La proposition dans le projet réécrit : La première version du texte supprimait l’obligation d’informer l’inspection du travail avant la mise en place d’un temps partiel dans une entreprise où il n’y a pas de représentant du personnel. Cette obligation a été rétablie dans la deuxième version.
La prise des congés par le salarié (modifié)
Dans le Code du travail, aujourd’hui : Actuellement, un salarié ne peut prendre ses congés qu’à « l’ouverture de [ses] droits », c’est-à-dire après une certaine période définie par l’employeur.
La proposition dans le projet réécrit : La commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale a voté la possibilité, pour un salarié, de prendre ses congés dès son embauche et non à « l’ouverture des droits » (après une certaine période de travail effectif définie par l’employeur).
Les congés supplémentaires pour enfant à charge (non modifié)
Dans le code du travail, aujourd’hui : Actuellement, le code du travail accorde ces deux jours de congés supplémentaires mais uniquement aux femmes.
Ce qu’a proposé le gouvernement : Le projet de loi prévoit l’extension des deux jours de congés supplémentaires aux hommes qui ont au moins un enfant à charge, dans la limite des trente jours de congés annuels (sauf pour les salariés de moins de 21 ans).
La modification des congés par l’employeur (non modifié)
Dans le Code du travail, aujourd’hui : il est indiqué que, « sauf en cas de circonstances exceptionnelles, l’ordre et les dates de départ fixés par l’employeur ne peuvent être modifiés dans le délai d’un mois avant la date prévue du départ ».
Ce qu’a proposé le gouvernement : Le projet de loi permet qu’un accord collectif, dans l’entreprise ou dans le secteur, réduise ce délai durant lequel l’employeur peut modifier des congés.
Les congés pour événements familiaux (modifié)
Dans le code du travail, aujourd’hui : Actuellement, le nombre de jours de congés en cas d’événements familiaux est mentionné explicitement dans le code du travail, sans marge de négociation.
La proposition dans le projet réécrit : La première version du texte ne prévoyait pas de minimum pour les congés pour événement familial : ils pouvaient donc être modifiés à la hausse comme à la baisse par un accord d’entreprise ou de branche. La nouvelle version précise que les durées mentionnées dans le code du travail constituent un plancher.
Par ailleurs, la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale a porté à cinq jours (contre deux auparavant) les congés après le décès d’un enfant et de quatre à dix semaines la durée pendant laquelle un employeur ne peut pas rompre le contrat de travail d’une salariée après la naissance d’un enfant.
Le congé de solidarité familiale (non modifié)
Dans le Code du travail, aujourd’hui : Actuellement, ce congé de solidarité familiale est limité à trois mois maximum et un renouvellement.
Ce qu’a proposé le gouvernement : Le projet de loi ouvre la porte à une extension de ce congé de solidarité familiale au-delà de trois mois et renouvelé plus d’une fois, par le biais d’un accord d’entreprise ou de branche.
Le congé de proche aidant (non modifiée)
Dans le Code du travail, aujourd’hui : Actuellement, seuls les salariés de plus de deux ans d’ancienneté dans l’entreprise peuvent bénéficier de ce congé, dont la durée maximale est de trois mois et qui peut être renouvelé sans excéder un an maximum.
Ce qu’a proposé le gouvernement : Le projet de loi permet de revoir les modalités de ce congé mais sans qu’un minimum ne soit fixé. La durée maximale peut ainsi être revue aussi bien à la hausse qu’à la baisse.
Les congés exceptionnels (modifié)
Dans le Code du travail, aujourd’hui : Le code du travail définit actuellement précisément ces congés.
La proposition dans le projet réécrit : La première version du texte prévoyait de revoir les modalités du congé de formation syndicale, mais sans qu’un minimum soit fixé. La nouvelle version supprime les dispositions prévues.
Le temps de travail maximal d’un apprenti (modifié)
Dans le Code du travail, aujourd’hui : Le code du travail limite le travail d’un apprenti de moins de 18 ans à huit heures par jour sauf dérogation exceptionnelle de l’inspection du travail (après avis conforme de la médecine du travail) permettant de travailler cinq heures de plus par semaine.
La proposition dans le projet réécrit : L’article 6 qui prévoyait qu’un apprenti mineur pouvait travailler plus de huit heures par jour (jusqu’à dix), et plus de trente-cinq heures par semaine a été supprimé.
Les négociations obligatoires (non modifié)
Dans le Code tu travail, aujourd’hui : il fixe actuellement la périodicité de ces négociations : tous les ans pour les négociations annuelles, trois ans pour les négociations triennales et cinq ans pour les négociations quinquennales.
Ce qu’a proposé le gouvernement : Le projet de loi permettrait de rendre moins fréquentes les négociations entre syndicats et employeurs. Sur la question des salaires, une organisation pourra toutefois demander une négociation anticipée, qui sera immédiatement engagée.
Publication des accords collectifs (modifié)
Dans le Code du travail, aujourd’hui : Actuellement, il n’y a aucune précision sur l’obligation de publicité des accords collectifs mais uniquement qu’ils « font l’objet d’un dépôt dans des conditions déterminées par voie réglementaire ».
Ce qu’a proposé le gouvernement : Il sera plus facile pour un salarié de consulter un accord collectif. Mais le projet de loi permet à tout employeur de bloquer la diffusion d’un texte.
Maintien des acquis lors de la dénonciation d’un accord (non modifié)
Dans le Code du travail, aujourd’hui : Actuellement, il est prévu que les salariés conservent « les avantages individuels qu’ils ont acquis » quand un accord est dénoncé.
Ce qu’a proposé le gouvernement : Le projet de loi restreint les « avantages individuels » à la seule rémunération, notion floue (elle ne précise pas, par exemple, si les primes sont incluses).
Validation d’un accord et référendum d’entreprise (modifié)
Dans le Code du travail, aujourd’hui : Actuellement, pour qu’un accord soit validé, il doit recueillir les signatures de syndicats représentant au moins 30 % des suffrages exprimés aux dernières élections.
La proposition dans le projet réécrit : Le texte réécrit prévoit le relèvement du seuil de représentativité (syndicats représentant 50 % des salariés) pour qu’un accord soit validé. Si ce seuil n’est pas atteint, une ou des organisation(s) syndicale(s) représentant entre 30 et 50 % des salariés peuvent demander un référendum interne. Mais cette application ne concernera d’abord que les modifications de la durée du travail, avant d’être « étendue aux autres chapitres du code du travail ». La commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale a ajouté un délai d’un mois maximum pour demander un référendum interne, qui devra se tenir dans les deux mois suivants.
Les effets d’un accord pour « préservation de l’emploi » (modifié)
Dans le Code du travail, aujourd’hui : Ce cas de figure n’est pas évoqué dans la partie traitant de la relation entre un accord collectif et les contrats de travail.
La proposition dans le projet réécrit : Le projet de loi évoque la « rémunération mensuelle », qui ne peut être diminuée, mais pas la rémunération horaire. Or si un accord réduit le temps de travail, par exemple, cela pourrait avoir pour effet mécanique de diminuer la rémunération mensuelle.
Par ailleurs, la première version du texte prévoyait de qualifier automatiquement de « cause réelle et sérieuse » – ne pouvant donc pas être contestée devant les prud’hommes – le refus d’un salarié de signer un accord de préservation de l’emploi (dans des moments où l’entreprise est en difficulté) mais cette mesure a été modifiée par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale.
La fin de la mise à disposition d’un local par une collectivité (non modifié)
Dans le Code du travail, aujourd’hui : Le code général des collectivités territoriales n’évoque pas ce cas de figure.
Ce qu’a proposé le gouvernement : Le cas de figure serait désormais présent dans le code général des collectivités territoriales. Il prévoit une indemnité au syndicat qui bénéficiait du local mais seulement après cinq ans de présence.
Augmentation des heures de délégation syndicale (non modifié)
Dans le Code du travail, aujourd’hui : Actuellement les délégués syndicaux bénéficient de dix heures par mois dans les entreprises de 50 à 150 salariés pour se consacrer à leurs fonctions, de quinze heures dans celles de 151 à 499 salariés et de vingt heures dans celles de plus de 500 salariés.
Ce qu’a proposé le gouvernement : Le temps mensuel dont bénéficie un délégué syndical pour exercer ses fonctions est augmenté de 20 % : de dix à douze heures par mois dans les entreprises de 50 à 150 salariés, de quinze à dix-huit heures dans celles de 151 à 499 salariés et de vingt à vingt-quatre pour celles de plus de 500 salariés.
Le compte personnel d’activité (modifié)
Dans le Code du travail, aujourd’hui : Actuellement, les droits à la formation et le compte de prévention de la pénibilité coexistent séparément.
La proposition dans le projet réécrit : Le texte prévoit le rassemblement des comptes formation et pénibilité. Il ne prévoit pas, pour l’instant, d’y inclure les droits au chômage ou le compte épargne-temps, comme cela avait été un temps envisagé. La réforme liste des activités bénévoles qui ouvrent le droit à vingt heures supplémentaires, comme le service civique ou le bénévolat dans certaines associations.
La commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale a créé pour les retraités un « compte d’engagement citoyen » qui ne sera fermé qu’à leur décès et qui recensera toutes les activités bénévoles ou volontaires et facilitera la reconnaissance des compétences acquises à travers ces activités, notamment dans le cadre de la validation des acquis de l’expérience (VAE).
Le droit à la déconnexion (modifié)
Dans le code du travail, aujourd’hui : Le droit à la déconnexion n’existe pas pour le moment.
La proposition dans le projet réécrit : La commission des affaires sociales a avancé au 1er janvier 2017 (contre 1er janvier 2018 dans la version initiale) l’entrée en vigueur de ce droit à la déconnexion. Le seuil où une charte liée à l’usage des outils numériques est obligatoire a été abaissé de 300 à 50 salariés.
Suivi médical du travailleur (non modifié)
Dans le Code du travail, aujourd’hui : Actuellement, le salarié bénéficie d’un « examen médical avant l’embauche ou au plus tard avant l’expiration de la période d’essai ».
Ce qu’a proposé le gouvernement : L’examen médical obligatoire avant l’embauche serait remplacé par une « visite d’information et de prévention », toujours par le médecin du travail, réalisée après l’embauche, dans un délai à définir par décret en Conseil d’Etat.
Contribution pour travailleur détaché (non modifié)
Dans le Code du travail, aujourd’hui : Il n’existe pas pour le moment de « contribution » sur le travail détaché.
Ce qu’a proposé le gouvernement : Avec cette mesure, le gouvernement entend renforcer sa lutte contre les travailleurs détachés, étrangers travaillant en France sous droit français mais dont les cotisations sont payées dans le pays d’origine.
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Mais le projet n’a pas fini son itinéraire parlementaire puisqu’il doit encore être examiné par le Sénat pour revenir à l’Assemblée pour un vote définitif prévu le 22 juillet 2016.
C&G Law Office